Le Podcast Vélo s’est mis en quête d’une source d’information fiable. Et Anne de Bortoli coche toutes les cases : une formation en génie civil, transports et environnement, 10 ans de recherches consacrées à la neutralité carbone au sens large, avec un focus sur les transports, dont les mobilités partagées.
Interview de Anne de Bortoli : Episode 4 du Podcast Vélo
Quel est l’impact de la mobilité partagée ? Faut-il choisir le vélo ou la trottinette ? Ces questions nécessitent des recherches approfondies, prenant en compte un grand nombre de critères. C’est parti pour un épisode didactique, à la portée de toutes et de tous.
Une chercheuse dédiée à l’efficacité énergétique des transports
Anne de Bortoli a une formation approfondie d’ingénieure en génie urbain et en aménagement des transports durables (Ecole des ingénieurs de la Ville de Paris, École des Ponts ParisTech). Et c’est très vite qu’elle a compris qu’il fallait qu’elle s'attelle à un sujet encore peu traité : l'efficacité énergétique des transports :
“On nous offrait beaucoup en école d'ingénieurs dans une perspective de solutions basées sur la technologie. En manquant finalement de preuves quantitatives. Je me rendais également compte que les décisions environnementales étaient souvent prises avec un manque d'aspects tangibles et quantitatifs sur leur réel impact environnemental.”
Ses recherches sur l’environnement et les transports se sont donc focalisées sur la quantification des impacts des modes de transports, et elle a été une des premières personnes à travailler sur les mobilités partagées, avec l’arrivée massive des trottinettes dans les villes à l’été 2018.
Elle est aujourd’hui responsable du pôle en carbo neutralité du CIRAIG, qui est un centre de recherche à Polytechnique Montréal. Elle est également chercheure associée à l'École des Ponts ParisTech et travaille sur ces quantifications environnementales, en lien avec le changement climatique.
Quelles services de mobilité partagée pour votre ville ?
Comment mesurer correctement l’impact des modes de transports ?
Le choix de la méthode dépend de chaque chercheur.se. Anne de Bortoli a choisi une méthode de calcul qui prend en compte tous les moments où un mode de transport a créé ou évité de la pollution, de la production à à la fin de vie en passant par l’utilisation. On appelle cela l’approche “intégrée” ou ACV (Analyse du Cycle de Vie).
“L'idée, c'est de regarder tout le cycle de vie, de l'extraction des matières premières jusqu'à la fin de vie, en passant par la manufacture, la construction des objets qu'on utilise, leur entretien, leur usage, et bien sûr, l’utilisation”
Grâce à cette méthode, les différents modes de transport peuvent être comparés de la manière la plus juste possible, puisque l’empreinte carbone de chaque mode est condensée dans un équivalent de grammes de CO2, par kilomètre, et par passager.
Mobilités partagées électriques : peu polluantes ?
Lorsqu’on s’attelle au sujet des mobilités électriques partagées, et en premier lieu aux vélos et trottinettes, cette approche intégrée devient intéressante.
Car même si les véhicules électriques n’émettent pas de particules fines, leur production et leur utilisation ont bien sûr un impact environnemental.
Mais pour Anne de Bortoli, les véhicules électriques partagés seront toujours la bonne solution, et il y a plusieurs raison à cela :
1) Les mobilités partagées ont une faible empreinte carbone
“L’empreinte carbone d’un passager transporté sur 1 km en bus diesel est de 125-130 g de Co2 équivalent, alors qu’avec la micro-mobilité, on descend à 60g, et avec le vélo partagé électrique on est toujours à moins de 30g.”
Anne de Bortoli fait ici référence à une étude qu’elle a mené en 2021, où elle compare l’impact écologique des moyens de transport en île de France. Une version actualisée de son étude menée en 2019 dont nous vous avions déjà parlé dans notre article “Les services vélo : une évidence face à l'urgence climatique”
Voici le résumé de l’impact de chaque moyen de transport (en équivalent kg de CO2, par passager, et par kilomètre parcouru) :
2) La consommation d’électricité : faible dans le bilan carbone global
La consommation électrique liée à l’utilisation d’une trottinette ou d’un vélo partagé représente peu dans le bilan carbone global de ces modes de transport. Bémol : un mix énergétique catastrophique, avec par exemple une électricité produite principalement avec du charbon (ce n’est pas le cas en France), alourdit bien sûr la note.
3) Mobilité électrique : attractive pour les novices
Électrifier un vélo permet de convertir une partie de la population qui n’aurait pas choisi le vélo naturellement. “Le vélo électrique est inclusif” affirme-t-elle.
Villes moyennes : les clés d'un service vélo efficace
Qui du vélo ou de la trottinette est le plus vertueux ?
Le transport : match nul
“J’ai montré que si on commande une trottinette électrique fabriquée en chine, le transport ne va pas avoir un impact très important sur le cycle de vie - vers les marché européens et américains - si ce transport est effectué avec un combo camion-train ou camion-tanker. On peut doubler l’empreinte carbone de son véhicule sur sa durée de vie lorsqu’il est transporté en avion.”
Elle précise que “La réponse sera la même dans le cas d’un vélo”.
Part de l’électricité dans l’empreinte carbone globale : match nul
Le poids de la consommation d’électricité est négligeable dans la pollution induite par les mobilités électriques partagées.
“Cette consommation d’électricité pour le vélo électrique ou pour la trottinette électrique, dans les pays avec des mix électriques plutôt décarbonés, n’est pas importante sur l’empreinte carbone : 1% (de l’empreinte carbone globale) est liée à cette consommation.”
Consommation d’électricité : avantage vélo électrique
Un vélo électrique consomme moins qu’une trottinette électrique
Le vélo étant un mode actif, l’électricité s’allie au pédalage pour le propulser. La consommation électrique ayant un très faible impact sur l’empreinte carbone globale, nous restons bons joueurs face à la trottinette.
Gestion de flotte : avantage vélo électrique (avec stations)
Une autre source d’empreinte carbone : la gestion de la flotte.
Réparations, changement des batteries, réallocation des vélos dans d’autres zones/stations : tout cela est source de déplacements et donc de pollution.
Lors de son étude en 2019, Anne de Bortoli a étudié l’empreinte carbone des trottinettes de première génération. Et à l’époque, la gestion de flotte était effectuée majoritairement par des auto-entrepreneurs, avec des vans diesels et des entrepôts éloignés de la zone de service.
On était à 110 grammes de CO2 équivalent, c'est à dire seulement deux fois moins que la voiture personnelle, alors que c'est quand même un véhicule, en première génération, qui ne faisait que douze kilos.
Aujourd'hui, la plupart des opérateurs ont des véhicules électriques et des batteries amovibles, ou, mieux encore : des vélos cargos.
Avec la mise à jour de son étude, Anne de Bortoli a mis en évidence une empreinte diminuée de moitié : les trottinettes partagées de seconde génération émettent aujourd'hui 61 g de Co2 équivalent.
Enfin, elle précise que l’on peut limiter une partie des émissions grâce à des stations qui chargent ces véhicules partagés. Pourquoi ? On évite ainsi les déplacements des équipes de maintenance, destinés à changer les batteries.
Note globale : Victoire pour le vélo
Lorsqu’elle compare l’empreinte d’un vélo électrique à celle d’une trottinette électrique, le vélo sort gagnant :
Le vélo aujourd'hui a toujours une empreinte carbone plus faible que la trottinette électrique
Elle nuance cependant son propos concernant les trottinettes personnelles : “Si l’on a une trottinette électrique personnelle, que l’on utilise vraiment sur une longévité kilométrique, un nombre de kilomètres élevé avant de la recycler, on peut avoir des empreintes carbones aussi bonnes qu'avec certains vélos.”
Les 3 vérités du vélo en libre-service (VLS)
1) Le Vélo
On a des durées de vie des vélos privés entre 15 000 et 20 000 kilomètres
Ces chiffres, Anne de Bortoli les a calculés sur la base de l’utilisation de vélos personnels. Alors le premier reproche que l’on pourrait faire au vélo partagé, c’est qu’il n’aurait jamais la même durée de vie :
“On a toujours des empreintes carbone entre deux grammes et douze grammes de CO2 équivalent au kilomètre parcouru en vélo personnel. En vélo partagé, on va être un peu plus élevé parce qu'on n'arrive pas à avoir des durées de vie aussi élevées.”
Mais cette empreinte carbone plus élevée, ne l’est pas tant que ça :
Sur le VLS (vélo en libre-service), on est plutôt à une empreinte carbone de 30-35 grammes (ndlr : 33g pour le vélib’) de CO2 équivalent. Mais encore une fois, le VLS, il sert à quoi ? Il sert à donner accès au vélo à des personnes qui n'ont pas leur vélo sur le moment ou qui n'ont pas de vélo.
Les raisons principales à cette empreinte plus élevée du vélo partagé ?
- Une durée de vie plus courte (12 500 km contre 20 000 pour le vélo personnel) et un poids plus important.
2) Les stations
L’infrastructure a un coût écologique, mais par rapport à l’empreinte globale des vélos électriques partagés, elle est assez négligeable :
Oui, il faut produire la station, ça prend de l'espace sur l'espace public, on a les bornes de recharge, on a le totem client, mais cet impact là sur le cycle de vie, de la même manière, je l'ai calculé et il est très, très faible.
3) Les effets indirects
Anne de Bortoli rappelle que le Vélo électrique partagé génère aussi des effets positifs indirects, plus difficiles à quantifier, mais bien réels :
- Le vélo partagé convertit la population au vélo. Avec un investissement minime pour tester le vélo dans sa ville, chaque usager pourra juger de l’intérêt d’acheter son propre vélo.
- Le vélo partagé facilite le report modal de la voiture vers le train, car il se charge du “dernier kilomètre”, de/vers la gare.
Faciliter l’accès aux gares par les modes doux est pour Anne de Bortoli une clé pour augmenter l’utilisation des transports en commun : cela permettrait une augmentation de leurs recettes, et donc une augmentation de leur qualité et de leur fréquence.
Un cercle vertueux donc.
Son conseil aux collectivités
Concernant les appels d’offres publics, Anne de Bortoli insiste sur l’importance de vérifier les hypothèses sous-jacentes dans le calcul de la performance environnementale des modes de transport.
Vérifiez les hypothèses des quantifications environnementales, car quand on joue sur la durée de vie des véhicules par exemple, on joue sur un paramètre clé dans le calcul de la performance environnementale des modes de transport étudiés.
Enfin, elle conseille de s’orienter vers des systèmes avec station, ou au moins de vérifier la performance énergétique de la gestion d’une flotte de micro véhicules partagés en free floating.