Et s’il y avait une autre manière de voir l'infrastructure routière et cyclable ?
Changer de perspective, voilà peut-être la solution pour accélérer la transition de nos territoires, et donner plus de place aux mobilités douces.
Et s’il y avait une autre manière de voir l'infrastructure routière et cyclable ?
Changer de perspective, voilà peut-être la solution pour accélérer la transition de nos territoires, et donner plus de place aux mobilités douces.
Sonia Lavadinho a trois casquettes : géographe, anthropologue et consultante au service des villes grâce à son cabinet d’expertise Bfluid.
Sa vision se veut donc très humaniste, avec la volonté de ne pas reproduire les erreurs du passé, qui ont consisté à construire des villes autour de la voiture et de la vitesse, sans comprendre pleinement les besoins primaires de la population.
“Le cœur de mon propos a toujours été centré sur la question de l’acceptabilité des propositions d’urbanisme ou de mobilité. (..) Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont on réponds au demandes des gens, et notamment aux demandes latentes.”
Et pour elle, la population veut deux choses fondamentales : plus de temps, ainsi qu’ une ville apaisée.
Au centre de sa philosophie : reprendre du temps. La mobilité est aujourd’hui considérée comme du temps perdu, qu’il convient pour elle de reprendre, et de la manière la plus agréable possible :
“On dit toujours qu’il faudrait plus de kilomètres de pistes (cyclables), alors que ce qu’il faudrait, c’est 15 minutes de plus pour emmener ses enfants à l’école en vélo.“
En filigrane, c’est la philosophie de la vitesse qui s'immisce au coeur de la pratique du vélo :
Je vois ressurgir les même erreurs pour le vélo, avec des logiques de réseaux express vélo, de la même manière qu’on avait une logique d’infrastructures de vitesse pour la voiture.
Un temps bien utilisé, notamment pour les déplacements, elle appelle cela le “temps plein”.
Au centre de cette vision, il y a par exemple les pôles intermodaux, qui offrent la possibilité à chacun et chacune “d’habiter le temps”. Comment ? Grâce à des commerces et services qui offrent une expérience de vie.
Mais cela passe aussi par la qualité des infrastructures, qui améliore l’expérience de mobilité, qui devient, in fine, un moment agréable.
On a enlevé à la texture du trajet son intérêt profond, qui était de pouvoir entrer en prise avec tout ce que la ville a à offrir. C’est toute la partie relationnelle du trajet qui a été gommée.
Cette ville désirable, qui offrirait plus de temps, est pour elle composée de corps en mouvement dans un “dehors désirable”.
Les villes et leurs systèmes de mobilité sont souvent construits autour du bureau, de la maison ou encore de la voiture. Des espaces clos, interchangeables, qui ne font ni l’attractivité, ni la singularité d’une ville.
Pour elle, c’est le “dehors qui prime” lorsque nous décidons de nous installer dans une ville : on cherche des rues apaisées, des places, ou encore des voies vertes.
Ce qui change la donne, c’est la quinzaine d’heures que l’on passe en moyenne par semaine en déplacement : c’est là qu’on est en contact direct avec la ville.
D’où l’intérêt pour elle de ne pas aménager la ville uniquement pour les heures de pointe, mais pour tous les moments de vie et de déplacement de sa population. Y compris les moments passés à vélo.
La chose qui me frappe le plus quand je reviens en Suisse, c’est ce grand apaisement, que je ressens de manière physique.
Et il y a 2 raisons principales à la “qualité de vie suisse” qu’on cite souvent :
Une autre force de la Suisse, c’est sa capacité à promouvoir la mobilité douce sur tous les territoires.
En France, c’est vu comme une fatalité d’être dans la ruralité, d’être déconnecté d’une métropole. Alors qu’en Suisse, c’est une situation qu’on connaît très bien.
Les périphéries, les villages et les zones résidentielles suisses ont elles aussi leurs zones vivantes et apaisées.
Et c’est ce modèle qu’elle veut se voir répliquer en France, pour toutes les villes qu’elle accompagne.
En Suisse, on a développé depuis une trentaine d’année une politique forte de réseaux de villes et de réseaux de bourgs qui se révèle très performante.
Des territoires “en constellation” constitués de villages d’environ 2000 ou 3000 habitants, interconnectés autour de villes de 10 à 15 000 habitants, cela est monnaie courante en Suisse.
Et ces réseaux fonctionnent autour des transports en communs, mais surtout, ils sont “portés par les réseaux de modes actifs”.
Pour elle, le corps en mouvement doit être la première arme de l’intermodalité sur les territoires périphériques et peu denses.
Alors, comment créer ces constellations de villes qui favorisent le corps en mouvement ?
L’apaisement de l’espace public est la condition sine qua non d’une politique de mobilité douce efficace.
En France, on est dans une logique de limiter la vitesse. En Suisse, nous sommes dans une logique de donner de l’espace à ceux qui vont lentement, ce n’est pas la même approche.
Et il y a plusieurs manières de donner de l’espace aux mobilités douces, en voici 3 qui ont déjà fait leurs preuves en Suisse.
La Suisse a lancé les zones de rencontre et les zones 30 en 2002 : le pays a donc du recul sur l’utilisation de ces zones apaisées.
De manière générale, on applique la zone de rencontre partout, à l’exception des pénétrantes pour entrer dans le centre ville.
Elle ajoute : “Le 50 est devenu une exception en suisse”
Donner de l’espace à la lenteur plutôt que de mettre des limitations de vitesse ponctuelles, c’est pour elle la meilleure manière de donner explicitement et définitivement de la place aux mobilités douces.
Une construction en cercles concentriques permet de changer les habitudes : en passant progressivement de la zone de rencontre, à la zone 30, puis à la zone 50 lorsque cela est nécessaire.
Une autre manière de prioriser le vélo, et de créer des pistes cyclables à moindre coût, est tout simplement d’utiliser les aménagements existants :
Un coup de génie de la Suisse a été de préempter certaines petites rues résidentielles ou agricoles pour la circulation des piétons, des cyclistes, des chevaux, des riverains et des véhicules agricoles.
Aménager le réseau primaire (comme les départementales) avec des pistes en bord de route n’est donc pas la meilleure solution, car elle n’offre pas les meilleures conditions pour créer une culture du vélo désirable.
Une autre partie du réseau réservé aux voitures peut également être transformée : les intersections.
Les frictions principales viennent de la gestion des carrefours.
La zone de rencontre peut donc s’appliquer aussi à des intersections, où le vélo deviendrait prioritaire. Et ces intersections, qu'elle qualifie de “points noirs”, ne sont pas aussi nombreuses que l’on pourrait l’imaginer.
Au cours de sa collaboration avec la Communauté d’Agglomération d’Epinal, 80 intersections ont été désignées comme problématiques et méritant donc de donner la priorité aux cyclistes.
Sur un territoire très étendu, d’environ 75 km du nord au sud, ce n’est pas énorme.
On peut résorber les principaux points noirs avec une seule mandature sur certains territoires.
A cette question, sa réponse est claire, il faut réserver le budget :
Car la majorité de ces itinéraires cyclables existent déjà : ce sont les routes secondaires ou tertiaires qui auront été réservées aux mobilités douces.
C’est une approche que je trouve plus judicieuse que l’approche qui consiste à aménager des kilomètres de pistes cyclables sur le réseau primaire, alors qu’on sait que ce ne sera confortable pour personne.
Une nouvelle manière d'envisager les aménagements cyclables, pour que le vélo reste un plaisir et surtout : qu'il devienne un nouveau moyen de transport.